Faut-il réformer la justice? (Université de Villetaneuse, 17 mai 2010)

Faut-il réformer la justice ?

 

Université de Villetaneuse, Paris XIII

 

Lundi 17 mai 2010

 

[Seul le prononcé fait foi]

 

Monsieur le Président,

 

Monsieur le Doyen,

 

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

 

Mesdames, Messieurs,

 

Je suis ravie d’être parmi vous cet après-midi pour répondre avec vous à la question « Faut-il réformer la justice? », et je remercie Monsieur le Président et Monsieur le Doyen d’avoir organisé une telle rencontre.

 

Je vais, avant d’échanger avec vous, vous décrire les réformes qui ont été faites et souvent attendues depuis des années. Il est vrai que j’ai été un acteur et un témoin privilégié de la nécessaire réforme de la justice.

 

Jamais la justice n’a connu autant de réformes que depuis 2007. La modernisation de la justice était devenue nécessaire, et elle s’inscrivait dans une volonté de rendre aux Français la justice qu’ils étaient en droit d’attendre.

 

Qu’est ce que la justice sinon un pilier de l’Etat de droit et la première exigence d’une société équilibrée ?

 

Le monde évolue, la justice doit s’adapter. C’est une constante. Les Français ne doivent jamais cesser de croire en la justice, autrement c’est la démocratie qui est menacée, c’est l’affaiblissement de notre idéal républicain de liberté et d’égalité.

 

Réformer la justice est, en effet, un processus long et parfois difficile.

 

Il serait trop long, bien sûr, de vous faire un inventaire exhaustif de tout ce qui a été fait depuis 2007 et doit être fait au cours des prochains mois et années, mais je veux vous donner quelques exemples emblématiques de mesures prises qui vont dans le sens de la nécessaire réforme de la justice.

 
I.   Une justice recentrée sur les attentes des français

 

Nous sommes partis du constat que de plus en plus il y avait une rupture de confiance entre la justice et les français : que parmi les causes de cette rupture de confiance, il y avait celle que la justice ne répondait pas assez aux attentes de nos concitoyens. Il a donc fallu lancer des chantiers ambitieux pour replacer le citoyen au cœur de l’acte de justice.  

 

1. Je pense notamment à la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive et à la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté.

 

Les français attendaient que l’on mette en place un dispositif permettant d’avantage de fermeté vis-à-vis des récidivistes et des délinquants dangereux. 

 

Sur la récidive, l’idée derrière la loi de 2007 était la suivante : sanctionner plus sévèrement la récidive, c’est mieux faire respecter la loi en exerçant une action dissuasive pour l’avenir. C’est ainsi que des peines planchers ont été introduites –fixées au tiers de la peine d’emprisonnement maximum prévue pour chaque crime ou délit- qui ne peuvent être écartés que dans des circonstances exceptionnelles par les juges. 

 

Avec la loi de 2008, c’est la lutte contre les criminels les plus dangereux qui a été améliorée, en posant un principe clair selon lequel les condamnés qui présentent encore un danger pour la société en fin de peine ne seront pas remis en liberté, mais suivis dans des centres médico-sociaux-judiciaires, dans des conditions qui bien évidemment sont strictement encadrées.

 

2.  Il fallait, par ailleurs, en finir avec une justice qui n’était pas assez tournée vers sa mission première : celle de la protection des victimes. C’est pour cela que j’ai voulu faire en sorte que celle-ci soit renforcée : j’ai ainsi créé un juge délégué aux victimes et un service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction. Dans quel but ? Il fallait lutter contre la lenteur et la complexité de l’indemnisation des préjudices : j’ai souhaité ainsi la rendre plus complète, plus simple et plus rapide. Les Français victimes ne devaient plus avoir le sentiment que l’Etat les abandonner une fois la décision rendue.

 

3. La mise en place d’une nouvelle politique pénale mieux adaptée au besoin de sécurité des français.

 

J’ai voulu, en particulier, revoir le droit pénal  applicable aux mineurs afin de la mettre à jour d’une réalité alarmante : celle de la progression de la délinquance des mineurs. L’idée était d’élaborer un texte qui respecte l’équilibre entre l’intérêt de l’enfant, son avenir et la sécurité des Français.

 

Un nouveau code pénal applicable aux mineurs délinquants a donc été rédigé : il prévoit en particulier deux principes nouveaux celui de la majorité pénale à 18 ans – c’est-à-dire qu’on est jugé suivant les règles spécifiques applicables aux mineurs pour les faits que l’on commet avant l’âge de 18 ans- et celui de la minorité pénale à 13 ans. C’est-à-dire que l’on ne pourra être sanctionné qu’à partir d’un âge précis qui est donc fixé à 13 ans. 

 

Il faut noter aussi que les mineurs multirécidivistes de 16 à 18 ans encourent désormais une peine plancher identique à celle qui est prévue pour les majeurs. 

 

Face à la montée de la délinquance des mineurs, nous ne pouvions conserver un droit pénal devenu plus qu’obsolète. Il a donc fallu agir avec courage, en veillant toujours à prendre en compte l’intérêt et l’avenir du délinquant, ainsi que l’intérêt des victimes et des Français.  

 
II.   Les structures et le service public de la justice modernisés

 

Pour être efficace, la justice doit avoir des structures et une administration modernes et être le reflet de la France dans sa diversité : c’est ainsi que j’ai entrepris plusieurs chantiers destinés à servir cette conviction.

 

1. Premièrement, comment ne pas évoquer la réforme de la carte judiciaire ?  Comme vous le  savez sans doute, elle était attendue de longue date ; elle n’avait en effet pas été modifiée depuis 1958 et reposait sur des principes établis au XIXème siècle. Etait-il concevable de ne rien faire et de laisser une carte judiciaire en place qui ne correspondait plus à la donne démographique, économique et sociale de notre pays ?

 

Car je ne vous le cache pas, cette réforme n’a pas été facile. Il a fallu prendre des décisions difficiles, parfois faire des choix douloureux et faire face à l’opposition d’élus locaux et de certains acteurs judiciaires.

 

2.  Rendre la justice plus efficace pour les Français passe aussi par la réorganisation de son administration, c’est ainsi qu’à la Chancellerie un secrétariat général chargé de ce que l’on appelle toutes les fonctions « transversales » (comptabilité, informatique, marchés…etc.) a été mis en place, ce qui a rendu plus efficace le fonctionnement du Ministère.

 

L’organisation territoriale du service public de la justice a aussi été revu, notamment pour accroître le rapport coût/ qualité des services, par exemple par la création de 9 plates-formes mutualisées dans les régions assurant au sein d’une seule structure des tâches pour plusieurs services.

 

J’ai aussi souhaité œuvrer pour la parité dans les plus hautes fonctions de la magistrature : au 1er septembre 2008, il y avait 57% de femmes dans la magistrature, mais trop peu occupaient de hautes fonctions. J’ai ainsi par exemple mené une politique volontariste afin d’accroître le nombre de femmes procureurs généraux. Par un décret du 21 novembre 2007, 5 femmes ont été nommées au poste de procureur général, amenant le taux de féminisation de cette fonction à 19,4% contre 5,5% avant le décret !

 

Une direction des ressources humaines a par ailleurs été créée pour les magistrats et les greffiers, ayant pour but une gestion plus souple et plus fine des carrières.

 

3. J’ai voulu ensuite que notre justice soit à l’image de la France, des Français : diverse. Je ne voulais pas que les origines sociales soient un frein à l’accès aux postes de la justice: c’est pour cela que j’ai créé des classes préparatoires spécifiquespour les étudiants méritants de condition modeste qui voulaient devenir magistrats, éducateurs, greffiers, ou surveillants pénitentiaires.

 

C’est une réforme dont je suis particulièrement fière : alors que je n’aurais moi-même jamais imaginé devenir Garde des Sceaux, certains de ces jeunes n’imaginaient certainement pas qu’ils pourraient un jour intégrer la justice.

 

III.   La justice, rempart des libertés publiques et de la démocratie

 

Réformer la justice doit aussi concerner une attention sans cesse accrue à la préservation des libertés publiques et de la démocratie. C’est en ce sens que j’ai mis en place plusieurs chantiers, dont voici quelques exemples. 

 

1.  Une manière de rendre la justice plus conforme aux attentes, plus proche des français fut aussi d’organiser de nouveaux droits pour tous en participant à la révision constitutionnelle de 2008.

 

C’est ainsi que dans la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, sont inscrits en particulier trois dispositions qui vont dans ce sens : (a) à présent tout citoyen pourra s’assurer que la loi qui lui est appliquée est conforme à la Constitution, (b) la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature garantit une plus grande ouverture et une plus grande indépendance, et enfin (c) les justiciables pourront saisir le CSM en cas de dysfonctionnement de la justice.

 

Les pouvoirs du Président de la République encadrés, le Parlement a plus de pouvoirs et les citoyens plus de droits.

 

2.  La situation de nos prisons en France n’est pas parfaite, nous le savons. C’est pour cela que leur modernisation a été tout à fait prioritaire dans les réformes que j’ai menées à la Chancellerie.

 

La loi pénitentiaire reposait initialement sur 5 objectifs :

 

– garantir les droits fondamentaux des détenus,

 

– améliorer la reconnaissance des personnels pénitentiaires,

 

– s’engager pour la réinsertion des détenus,

 

– développer les aménagements de peine pour éviter la récidive,

 

– généraliser la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes (RPE).

 

Avant même la loi pénitentiaire, j’ai œuvré pour lutter contre la surpopulation carcérale. C’est ainsi que de mai 2007 à fin 2009, 9000 nouvelles places ont été créées ou ouvertes dans les prisons. Et l’objectif sera de disposer de 63000 places d’ici 2012. A titre de comparaison, seules 2500 places avaient été créées entre 2002 et 2007.

 

Être privé de sa liberté ne doit pas vouloir dire qu’on doit en plus être privé de sa dignité et de ses droits les plus fondamentaux.

 

C’est pour cela que j’ai souhaité la mise en place d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté par la loi du 30 octobre 2007. Cette réforme était attendue depuis 10 ans. Concrètement, il s’agit d’une autorité indépendante qui doit pouvoir se prononcer de manière impartiale sur les conditions de détention, mais aussi mettre en valeur le travail et les difficultés auxquelles sont confrontés les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, mais aussi dans tous les lieux de privation de liberté.

 

3.  Si la justice est un rempart des libertés publiques et de la démocratie, alors elle doit être exemplaire en matière de lutte contre les discriminations.

 

Depuis juillet 2007, a été mis en place dans tous les tribunaux un pôle anti-discrimination, animé par un magistrat référent qui est chargé de mener des actions sur le terrain en lien avec les associations disposant d’un savoir-faire en la matière. Ces pôles existent aujourd’hui pour répondre à une nécessité : celle de faciliter l’expression et l’émergence des plaintes des victimes. 

 

CONCLUSION

 

L’ensemble des réformes, des chantiers que je vous ai présentés cet après-midi ne sont que quelques exemples particulièrement topiques parmi tant d’autres de la politique volontariste de réforme de la justice qui a été initiée depuis le début du quinquennat. Leur nombre et leur ampleur parlent d’eux même et permettent de répondre à l’affirmative à la question « Faut-il réformer la justice? ».

 

Pour tout vous dire, je pense que la dynamique amorcée en 2007 ne doit jamais s’arrêter. Trop longtemps, on n’a pas assez pris en considération les attentes des français. Trop longtemps, on n’a pas eu le courage de faire des réformes dont la justice de notre pays avait besoin. Trop longtemps, on n’a pas été assez exigeant sur le respect des libertés publiques et de la démocratie.

 

Je vous remercie de votre attention.