Remise des insignes de Grand Officier du Willam Al Alaoui

3 mai 2010


Discours prononcé par Madame DATI en remerciement à Son Excellence l’Ambassadeur du Maroc en France, suite à la remise des insignes de Grand Officier du Wissam Al Alaoui

 

Vendredi 23 avril 2010

 

Excellence,

 

Je suis consciente, et profondément émue, de l’immense honneur qui m’est fait par Sa Majesté le roi du Maroc en me remettant, par votre intermédiaire, les insignes de Grand Officier du Wissam Al Alaoui.

 

Il m’en a jugée digne, au regard de ce qu’a été ma vie jusqu’à présent.

 

Mon souhait le plus ardent, à cet instant, je vous l’avoue avec beaucoup de modestie, est de ne jamais décevoir cette bienveillance.

 

Française, issue d’un père Marocain et d’une mère Algérienne, je suis faite de ces trois pays, de ces trois cultures.

 

De ma mère, j’ai retenu la joie de vivre, l’élégance du cœur, l’ouverture aux autres.

 

De mon père, j’ai appris la droiture, l’honnêteté, le courage et le respect de l’autorité.

 

L’un et l’autre demeurent aujourd’hui un exemple pour leurs douze enfants. Ils nous ont appris à nous tenir debout en toutes circonstances, y compris dans l’épreuve et le chagrin, ils nous ont transmis le sens du devoir, et l’exigence de ne jamais rien céder sur les principes moraux.

 

Mais mon parcours est indissociable de deux notions essentielles : le travail et la confiance ; c’est d’ailleurs souvent par le travail que j’ai pu mériter la confiance des autres.

 

Aussi, au moment de recevoir cet honneur, je veux y associer toutes ces personnes remarquables qui à un moment donné de ma vie ont su me faire confiance.

Je pense à Pierre Deliry, à Albin Chalandon, à Jean-Luc Lagardère, à Jacques Attali, à Simone Veil, à Nicolas Sarkozy.

 

Pierre Deliry fut le premier à me donner sa confiance, alors qu’il ne connaissait rien de moi.

 

En 1983, j’ai 17 ans et je cherche un travail pour payer mes études. Je frappe à la porte de la clinique Sainte-Marie dont il est le directeur.

 

Il m’a appris un métier. Il m’a appris la confiance et surtout il m’a appris à ne jamais renoncer alors même que, dans ce métier d’aide soignante, vous êtes confronté chaque jour à la maladie, à la souffrance et à la mort.

 

Cinq ans plus tard, c’est Albin Chalandon, alors Garde des Sceaux, qui m’accorde sa confiance lui aussi sans presque rien savoir de moi. Il s’engage à me mettre un pied à l’étrier à condition que je mette le second. La formule est de lui, je ne l’ai jamais oubliée.

 

Grâce à ces deux hommes, j’ai acquis la conviction que chacun a sa chance dans notre société, quelques soient ses origines, quelque soit le point d’où l’on part. Mais à deux conditions : qu’on ait de la volonté, l’envie de travailler, et qu’on soit digne de confiance.

 

Je n’ai jamais oublié cette grande leçon, et je crois pouvoir dire que ce sont les deux constats qui ont guidé Simone Veil lorsqu’elle m’a ouvert les portes de la magistrature : ma volonté d’exercer ce magnifique métier qui alliait le sens du devoir, de la justice et de l’éthique.

 

Puis j’ai rejoint Nicolas Sarkozy quand il est devenu ministre de l’Intérieur, par conviction, car il avait un sens aigu de la réalité de la France, dans sa modernité et dans ses changements.

 

Il avait une vision et une ambition pour la France, qu’il met en œuvre au quotidien. Il m’a accordé sa confiance en faisant de moi la première Garde des Sceaux issue de cette France multiple.

 

Sincère et courageux, le président de la République a refusé d’entendre la résistance d’une certaine partie de la France à ce « message » que j’incarnais.

 

La vie est faite de rencontres qui peuvent en changer le cours. Je veux aussi saluer tous ceux qui me sont proches et qui sont ici présents. Leur amitié, leur générosité, leur soutien à toute épreuve sont pour moi une force quotidienne. Vous êtes à mes côtés à chaque instant dans les moments de joie, dans ma vie publique comme dans ma vie privée. Vous êtes aussi présents dans les moments difficiles. Je sais que je peux compter sur vous. Vous êtes pour moi des repères, parfois même un précieux bouclier. Je sais ce que je vous dois et je tenais à vous le dire.

 

Excellence, à travers vous ce soir, je suis heureuse de m’adresser à Sa Majesté le Roi.

 

Sa Majesté me fait confiance en m’honorant. Je lui en suis infiniment reconnaissante, autant que je lui suis reconnaissante de sa bienveillance et de son soutien régulier et en toutes circonstances.

 

Le Maroc, pour moi, est plus que le pays de mon père ou qu’une terre origine. C’est une terre d’accueil et d’ouverture.

 

Terre d’accueil pour moi, pour ma famille et pour maman, et qui est aujourd’hui la terre qui l’a accueillie définitivement même si elle n’en était pas originaire.

Terre d’ouverture, pour son peuple dans toute sa diversité ! Le royaume du Maroc est la définition même de la diversité, de cette « unité dans la diversité » qui rejoint la devise européenne.

 

Sa Majesté fait évoluer le royaume du Maroc d’une manière exceptionnelle dans la modernité et dans le respect des traditions. Face à l’intolérance de certains, à l’obscurantisme, le Maroc est resté une terre d’ouverture et de tolérance,  un berceau pour cet islam des Lumières, incarné par Sa Majesté, Commandeur des croyants.

 

Le Maroc est une terre de démocratie et d’avenir. Sans la volonté de Sa Majesté le roi Mohammed VI, son courage, sa profonde humanité, la force de ses convictions et sa vision, rien ne serait possible.

 

J’ai eu l’occasion de voir cette évolution année après année, d’un point de vue social et juridique : je pense à la place de la femme dans la société marocaine pour laquelle Sa Majesté a réalisé d’incroyables avancées. Le Maroc, grand pays musulman, est aujourd’hui le symbole de l’équilibre entre la modernité et la tradition, entre le progrès et le respect des croyances de chacun.

 

La distinction que je reçois ce soir est aussi un honneur fait par Sa Majesté à tous les immigrés de France, et à leurs enfants qui ont été élevés dans le respect de la France sans jamais renier leur culture ni leurs origines.

 

A travers moi, et j’en ai pleinement conscience, c’est aussi la France que vous mettez à l’honneur.

 

Cette France généreuse qui a su accueillir les migrants, avec respect, avec confiance et sans condescendance.

 

Elle a su accueillir des hommes et des femmes qui n’avaient pas forcément choisi de quitter leur terre natale et cette nouvelle vie, qui n’était pas choisie par ces immigrés, n’était pour autant pas subie par les Français qui les ont accueillis.

 

La France a su accueillir, aussi, ceux qui venaient y chercher une vie meilleure, et contribuer à sa prospérité.

 

Pendant des années, sans écueil et sans heurt, nos parents ont su s’adapter à un nouveau pays, à de nouveaux modes de vie, apprendre une nouvelle langue. Tout n’a pas toujours été facile.

 

Le Maroc a donné de la force à nos parents en étant pour eux la source d’un soutien inconditionnel. Ils pouvaient d’autant mieux affronter les difficultés qu’ils se disaient « nous avons un pays d’origine qui nous aime et qui sera toujours là pour nous accueillir, y compris pour être notre dernière demeure. »

 

Comme moi, beaucoup d’enfants d’immigrés ont été élevés dans l’amour de la France, de son histoire, de sa générosité.

 

La double culture était une force, une véritable chance, pour devenir finalement UNE culture unique, faite de diversité.

 

J’aime cette France où ceux qui le veulent vraiment peuvent réussir quelles que soient leurs origines sociales, culturelles ou géographiques.

 

J’aime cette France qui vous tend la main quand vous avez un genou à terre, et qui sait donner toutes les chances à ceux qui les méritent.

 

J’aime ce pays qui permet d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat sans avoir à renier sa propre histoire.

 

Les liens entre la France et le Maroc sont des liens de chair, de respect et d’estime. Ce sont aussi des liens d’amour que je souhaite, à mon niveau, continuer à faire vivre.

Je vous remercie, à travers cet honneur, de faire vivre ce lien en moi.

 

Je vous remercie, Excellence, et je reçois cette distinction avec émotion et dignité.

 

Je la reçois comme un hommage à mes parents ; à Maman qui avait un amour infini pour le Maroc et pour Sa Majesté.

 

Un hommage à ces millions d’immigrés, et à tous les marocains, de naissance ou d’origine, qui sont devenus français et qui enrichissent l’identité de nos deux pays.

 

Merci.

 

Publié par Rachida Dati dans Billets d’humeur