Pour un dialogue franc et constructif avec la Russie

24 octobre 2014

L'Histoire de l'Europe et de la Russie est inextricablement liée. Dès le XVIe siècle, Ivan le Terrible avait compris l'importance d'un accès aux mers du nord. Au XVIIIe siècle, sur l'invitation de Pierre le Grand de nombreux savants occidentaux parmi lesquels des chirurgiens et des médecins s'installent en Russie. Sous le règne de Catherine II, Catherine "le Grand" comme l'appelait Voltaire, l'influence intellectuelle et culturelle européenne atteint un apogée. Aux XIXe et XXe siècles, l'audace et le génie d'artistes d'origine russes au destin européen tels que le danseur Noureev, le peintre Kandinsky ou le compositeur Stravinsky enchantèrent toute l'Europe.

 

Soixante-dix ans après le débarquement des alliés venus délivrer l'Europe de la barbarie nazie sur le front de l'ouest, les Européens se souviennent aussi que c'est sur le front de l'est que l'Histoire a commencé à changer. Les Européens n'oublient pas ce qu'ils doivent au courage et au sacrifice de ces millions de soldats de ce qu'on appelait alors l'Armée rouge.

 

Sur fond de tensions géopolitiques et de ralentissement économique, nous devons nous souvenir de cette Histoire commune. Cet héritage comme notre voisinage nous ramènent nécessairement l'un vers l'autre. Face aux défis géopolitiques et économiques d'aujourd'hui, l'Europe et la Russie seront d'autant plus capables de les relever avec succès qu'ils le feront ensemble. Bien sûr, il ne s'agit pas de minimiser nos différends. Au contraire. Je suis convaincue que seul un dialogue franc et constructif, sans non-dits, permettra de les résoudre pour avancer.

 

Ce dialogue, il doit d'abord être politique : sur l'Ukraine comme sur la Syrie. Dans ces deux pays, la situation demeure extrêmement troublée. Dans l'est de l'Ukraine des affrontements sporadiques ont lieu menaçant un cessez-le-feu fragile. En Syrie, l'opposition modérée se trouve prise au piège entre le régime de Bachar al-Assad d'un côté, et les combattants de l'État islamique de l'autre. Hantée par le souvenir de l'intervention libyenne, la Russie désapprouve notre positionnement en Syrie.

 

Mais nous devons, sur ces questions, repousser toute tentation manichéiste. Il n'y a pas d'un côté les "bons Européens" et de l'autre les "mauvais Russes". En Ukraine, les tensions auraient sans doute pu être évitées, si dès le départ l'Union européenne avait tendu la main à la Russie, dans l'établissement de son Partenariat Oriental. En Syrie, l'opposition est à ce point déstructurée et protéiforme que nous ne savons plus bien à qui nous apportons notre soutien. Dialoguons, reconnaissons mutuellement nos erreurs, mais de grâce, ne nous renfermons pas, l'un comme l'autre, sur soi !

 

Ce dialogue, il doit ensuite être économique. Dynamiser la croissance mondiale constitue sans aucun doute le second enjeu auquel l'Europe et la Russie doivent s'atteler. Plus grand voisin de l'Union européenne, la Russie est son troisième partenaire commercial. Ses réserves de pétrole et de gaz représentent 76% des exportations russes vers l'Union européenne et 30% de la consommation du vieux continent. Très dépendante du secteur des hydrocarbures, les responsables russes ont conscience de la nécessité de diversifier et de moderniser leur économie. De lourds investissements seront nécessaires pour réhabiliter les infrastructures de transport notamment dans la perspective de la Coupe du monde de 2018. Les entreprises européennes ont une expertise reconnue dans ce secteur.

 

La densité des échanges économiques est, cependant, mise à mal aujourd'hui par les sanctions réciproques prises en raison du conflit ukrainien, comme de la langueur de la croissance économique tant en Russie qu'en Europe. Alors que la croissance mondiale devrait atteindre 3,3%, leur croissance respective ne devrait s'établir qu'à 0,2% et 0,8% pour 2014. L'Europe et la Russie se trouvent fragilisées.

 

Face à ces défis, il n'y a pas d'alternative au dialogue. Pour être utile, ce dialogue doit dépasser, comme le disait Mikhaïl Gorbatchev, les "stéréotypes obsolètes". La Russie comme l'Europe veulent développer leur zone d'influence. C'est la vocation de tout grand pays et de tout projet politique ambitieux comme l'Union européenne. D'un côté l'Union eurasiatique, de l'autre l'Union européenne. À chacun de mes échanges avec des responsables russes, je percevais, encore il y a peu, la volonté des russes d'inclure l'UE dans ce projet. Nous ne devons pas louper le coche dans le rapprochement de nos deux "blocs". S'ils se construisent l'un contre l'autre, nous n'en avons pas fini de voir nos liens se distendre. Si au contraire, nous acceptons le dialogue, si nous faisons des efforts pour relancer nos échanges par la coopération économique et commerciale, nous parviendrons sans doute à avancer sur le dialogue politique, nécessaire aujourd'hui à l'équilibre mondial.

 

Tribune Rachida Dati - Les Echos - 24.10.2014

Publié par Rachida Dati dans Non classé, Revue de presse