La scène est devenue virale sur les réseaux : un jeune homme filme un contrôle de police depuis le trottoir, sans intervenir, sans insulte, sans obstruction. Quelques minutes plus tard, les policiers l’interpellent, le menottent… et l’embarquent.
Ce scénario, désormais récurrent, pose une question essentielle : a-t-on vraiment le droit de filmer la police en France ? Et si oui, pourquoi certains se retrouvent-ils quand même inquiétés ?
Oui, il est légal de filmer la police — dans l’espace public
C’est un principe fondamental en France : le droit d’informer est protégé par la liberté d’expression. Cela inclut le droit de capturer des images de l’action des forces de l’ordre, lorsqu’elles se trouvent dans l’espace public (rue, gare, marché, etc.).
Le Conseil d’État l’a d’ailleurs rappelé très clairement en 2021, lors du débat sur la loi “sécurité globale” :
“Filmer les forces de l’ordre en intervention dans l’espace public est un droit, tant que cela ne gêne pas leur action ni ne porte atteinte à leur intégrité.”
Concrètement, cela signifie que vous avez le droit de :
- filmer une interpellation, un contrôle, une intervention policière ;
- conserver ces images ;
- les diffuser sous certaines conditions, notamment en floutant les visages si nécessaire.
Ce droit s’applique aussi bien aux citoyens qu’aux journalistes, même sans carte de presse.
Ce que vous ne pouvez pas faire (et ce qui peut vous mettre en tort)
Même si filmer est autorisé, certains comportements peuvent faire basculer la situation dans l’illégalité, surtout si la personne filme :
- de manière intrusive ou agressive (en s’approchant trop, en criant, en insultant) ;
- dans un lieu privé ou sans autorisation ;
- en diffusant les images dans le but d’identifier ou nuire aux agents, ce qui tombe sous le coup de la loi.
Depuis 2022, l’article 226-1 du Code pénal interdit de diffuser des images permettant l’identification d’un agent “dans des conditions qui portent atteinte à son intégrité physique ou psychique”.
Mais cette disposition est souvent interprétée à tort comme une interdiction de filmer tout court, ce qui est faux.
Pourquoi certaines personnes se font-elles quand même arrêter ?
C’est là que les choses deviennent floues. En théorie, filmer n’est pas un motif d’interpellation. Mais dans la pratique, certains agents invoquent des raisons variées :
- “trouble à l’ordre public” (notion vague),
- “refus d’obtempérer” (si la personne ne s’éloigne pas quand on lui demande),
- “outrage” (si les propos deviennent conflictuels).
Parfois, les interpellations visent surtout à “faire pression”, même si elles n’aboutissent à aucune poursuite. Certaines vidéos ont montré des policiers dire clairement : “Tu veux jouer au journaliste ? Tu vas venir avec nous.”
“C’est une forme d’intimidation, pas toujours légale, mais difficile à prouver”, explique un avocat parisien spécialisé en libertés publiques.
Dans plusieurs cas, les personnes arrêtées ont ensuite été relâchées sans aucune suite judiciaire. Mais l’impact psychologique reste, et la peur aussi.
Ce que disent les associations et la jurisprudence
Des collectifs comme la LDH, Amnesty International ou La Quadrature du Net rappellent que filmer les forces de l’ordre est un contre-pouvoir démocratique essentiel.
Ils ont récemment remporté plusieurs batailles judiciaires :
- En 2022, le Conseil constitutionnel a censuré l’article de la loi “sécurité globale” qui voulait interdire la diffusion d’images des forces de l’ordre.
- En 2023, un tribunal administratif a annulé une amende infligée à un militant qui filmait un contrôle.
“Ce droit est protégé, mais encore trop souvent bafoué sur le terrain. Il faut que les citoyens connaissent leurs droits, et que les forces de l’ordre soient mieux formées à leur respect”, souligne la LDH.
