Depuis août 2023, les tickets de caisse papier ne sont plus imprimés automatiquement en France, sauf demande expresse du client.
Officiellement, cette mesure vise à réduire les déchets et protéger l’environnement. Mais derrière ce geste présenté comme “écolo”, certains y voient une dérive plus inquiétante : celle d’une surveillance numérique insidieuse, qui avance masquée.
Alors, simple transition verte… ou nouveau levier de profilage massif des consommateurs ?
Officiellement : un geste écologique “évident”
Chaque année, plus de 30 milliards de tickets de caisse étaient imprimés en France, selon l’ADEME. Un volume astronomique, souvent pour finir au fond d’un sac, dans la rue ou directement à la poubelle.
Le gouvernement a donc voulu frapper un grand coup, en s’appuyant sur trois arguments :
- réduire les déchets inutiles, notamment les papiers thermiques non recyclables,
- limiter l’exposition aux substances controversées comme les perturbateurs endocriniens contenus dans certains encres,
- encourager la dématérialisation dans une logique de “sobriété”.
Sur le papier, tout semble logique. Mais dans les faits, ce changement n’est pas si neutre qu’il y paraît.
En réalité : une explosion des données collectées
Car pour obtenir un ticket désormais, il faut souvent le demander par e-mail, par SMS ou via une application de fidélité. Et c’est là que le bascule s’opère.
En liant votre identité numérique à vos achats, les enseignes récupèrent des données précieuses :
- nom, prénom, adresse mail ou numéro de téléphone,
- date, lieu et montant des achats,
- fréquence, habitudes, panier moyen, marques préférées…
Autrement dit, chaque transaction devient une brique de votre profil de consommateur, exploitable à des fins marketing, publicitaires… ou plus encore.
“Le ticket dématérialisé, c’est le cheval de Troie du flicage commercial”, résume une responsable de l’association Résistance à l’Identité Numérique. “On vous promet l’écologie, mais on vous installe une surveillance douce.”
Une manne pour les géants de la grande distribution
Depuis la fin des tickets papier, les applications liées aux cartes de fidélité explosent. Carrefour, Leclerc, Auchan, Monoprix… tous proposent des solutions “100 % numériques” pour suivre vos achats, vos réductions, vos points.
Mais ces apps ne servent pas qu’à vous faire économiser 2 € sur le shampoing. Elles sont capables de :
- géolocaliser vos achats,
- croiser les données avec celles de vos paiements bancaires,
- prédire vos habitudes alimentaires, vos cycles d’achat, vos revenus estimés…
Et tout cela sans encadrement clair, ni véritable consentement éclairé.
Un clic, un “oui” trop rapide… et vos données partent alimenter des algorithmes de ciblage toujours plus performants.
Un risque pour les libertés individuelles ?
Des députés, notamment du groupe écologiste, ont alerté sur ces dérives possibles. Mais jusqu’à présent, aucune régulation sérieuse n’a été imposée aux acteurs privés.
La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a rappelé que les enseignes ne pouvaient conditionner la délivrance du ticket à une inscription ou à la collecte de données personnelles. Mais dans la pratique, rares sont les consommateurs qui réclament un ticket… et encore plus rares ceux qui lisent les conditions d’utilisation.
“On est en train d’habituer toute une génération à troquer sa vie privée contre un peu de confort numérique”, résume une juriste spécialiste du RGPD.
Une fausse bonne idée ?
Si l’intention initiale — réduire les déchets — peut sembler louable, le résultat est loin d’être neutre. Car dans cette transformation silencieuse, le consommateur perd à la fois la preuve immédiate de son achat, et un peu plus de contrôle sur ses données personnelles.
