Ils filment, survolent les rues à basse altitude et n’émettent presque aucun bruit. Depuis plusieurs semaines, des drones de surveillance sillonnent discrètement les quartiers de cette ville moyenne du sud de la France, sans que la population n’ait été clairement informée.
Officiellement, il s’agit d’un test “limité” pour améliorer la sécurité. Mais les conditions dans lesquelles ce dispositif a été mis en place interrogent, et relancent un débat brûlant : jusqu’où peut-on aller au nom de la sécurité… sans prévenir ceux qui sont observés ?
Une expérimentation discrète, lancée sans consultation
La ville de Brignoles, dans le Var, mène depuis début août une expérimentation de vidéosurveillance par drones autonomes. L’objectif affiché : tester une nouvelle génération d’engins équipés de caméras thermiques et de capteurs optiques ultra haute définition.
Ces drones, développés par une start-up française en lien avec les forces de l’ordre, sont capables de :
- détecter des regroupements “anormaux” de personnes,
- suivre des individus en mouvement,
- alerter automatiquement les opérateurs en cas de “comportement suspect”.
“Ils sont silencieux, presque invisibles, et peuvent couvrir plusieurs quartiers en une seule nuit”, explique un technicien sous couvert d’anonymat.
Mais aucune information claire n’a été diffusée à la population. Ni affiches, ni courriers, ni annonce en conseil municipal.
“On nous filme sans qu’on le sache” : les habitants choqués
C’est une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux — montrant un drone stationnaire au-dessus d’un terrain de sport en soirée — qui a révélé l’affaire. Très vite, les réactions se sont multipliées, entre colère, sidération et inquiétude.
“C’est quoi cette surveillance silencieuse ? On vit dans un quartier tranquille, pas dans un film de science-fiction”, s’indigne Nora, mère de famille.
“Ce n’est pas tant les drones le problème, c’est qu’on ne nous a rien dit. C’est comme s’ils voulaient voir sans être vus”, ajoute Karim, commerçant en centre-ville.
La mairie, prise de court, a fini par reconnaître l’existence de ce test, mais affirme que les données sont “anonymisées et strictement encadrées”. Un argument qui ne convainc pas tout le monde.
Un flou juridique qui inquiète les défenseurs des libertés
Si la vidéosurveillance classique est encadrée par des règles strictes (périmètre, signalétique, durée de conservation des images), l’usage de drones en milieu urbain reste juridiquement flou.
Depuis la loi “Sécurité globale” de 2021 et les dérogations accordées dans le cadre des JO 2024, les drones peuvent être utilisés par les forces de l’ordre sous conditions… mais avec obligation d’information du public.
“Ici, on est clairement en dehors des clous. Un simple test ne justifie pas de filmer toute une population sans prévenir”, dénonce une juriste de la Ligue des Droits de l’Homme.
L’association envisage un recours administratif contre la commune, et demande la suspension immédiate du dispositif.
Vers une généralisation dans d’autres villes ?
Brignoles n’est pas un cas isolé. Selon plusieurs sources, d’autres communes testent actuellement ces drones dits “intelligents”, notamment en région parisienne, dans certains quartiers sensibles ou aux abords des lycées.
Des marchés publics ont été passés en toute discrétion, souvent sous couvert de “lutte contre les incivilités nocturnes” ou de “prévention du trafic”.
Pour les partisans du dispositif, les drones représentent l’avenir de la sécurité urbaine : économiques, mobiles, efficaces. Pour d’autres, ils ouvrent la porte à une surveillance de masse banalisée, sans garde-fous démocratiques.
